Qui m’aurait dit que j’arriverais à écrire un peu de ma vie auprès d’eux, que je ne l’aurais pas
cru !
J’aime tellement les voir briller et me fondre dans l’ombre, discrètement, à savourer leur
présence, les sentir près de moi, libres…
Et pourtant comme une révélation, comme une langue que l’on découvre alors que l’on en devine
déjà le sens intuitivement, tout ce qui me lie à eux : cette subtile alchimie entre 2 espèces qui se
confondent et s’élèvent depuis la nuit des temps.
Mon expérience est bien modeste, elle ne s’est essentiellement construite qu’au travers de
l’élevage.
Toutefois, je vais vous conter un peu de notre histoire depuis aussi longtemps que je m’en
souvienne : de mon premier mot « dada » à l’arrivée de ma ponette shetland pour mes 6 ans en
1976, rien n’expliquait dans ma famille d’où pouvait bien venir cette fascination pour les chevaux.
Au fil des années de complicité avec mon poney, ma taille étant devenue incompatible avec la
sienne, j’eu droit à 10 leçons en « Club » afin de constater si le fait de monter sur un cheval me
plairait toujours autant ? Aucun doute sur ce dernier point, par contre je ne continuerai pas à
pratiquer l’équitation selon les enseignements proposés, préférant ma liberté en tête à tête avec
mon cheval, étant de surcroît d’une nature assez solitaire. J’avais 12 ans et je savais désormais
lui mettre un filet et une selle, même si le plus souvent j’étais à cru sur son dos avec juste un licol
et une longe ce qui me suffisait amplement pour galoper crinières au vent dans mes collines
Drômoises. Je m’en occupais au quotidien et tissais des liens très forts. Les années se
succédèrent, entre 2 ballades, des chantiers de fouilles archéologiques au château de Rochefort en
Valdaine chaque été, sur lesquelles je me rendais à cheval, je m’intéressais petit à petit à la
« Belle Équitation ».
Débourrée par mes soins, je ne me posais aucune question et je m’adaptais à elle comme je
l’avais fait enfant avec ma ponette, petite jument alezane crin lavé bien dans le sang. Quelle
chance j’avais ! Déjà, je comprenais, sans m’en rendre vraiment compte, que la coercition n’avait
rien de bon et que le partenariat, la connivence, nos émotions pouvaient raisonner à l’unisson. Je
me surprenais à penser les allures et non à les demander physiquement. Cela me portait et une
fois encore, ne venait pas envahir mes pensées de questionnements… j’étais heureuse et cela me
suffisait tout simplement.
Tout changea brutalement quand je fus privée de sa présence par mes études supérieures et ce
n’est que 5 ans plus tard que je renouais avec l’équitation mais sans ma jument, celle-ci vendue
par ma famille. Un « écuyer » venu s’installer non loin de mon village natal me permit de
découvrir un cheval de « Haute École ». Une révélation pour moi, tant je fus transportée bien au-
delà de moi-même quand je pris une première leçon avec lui. Mes sensations sont intactes mieux
de 30 ans plus tard… Je me mis alors en quête du cheval baroque de mes rêves entre Andalou et
Frison, mon cœur balance et c’est ce dernier qui l’emporta et m’emmena jusqu’en Bourgogne.
J’élevais donc ma pouliche née dans l’Aisne et devenais également éleveur de bovins Charolais
dans un premier temps.
Rien ne me prédestinait à embrasser cette profession si ce n’est la rencontre avec mon futur
mari !
Ce choix de vie est, pour moi, une profession de foi ; l’élevage m’a énormément appris et quand
j’en suis arrivée à faire naître des poulains se fut comme une seconde révélation.
Il me fallait cependant des objectifs car « faire naître pour faire naître » n’était pas une
motivation suffisante, je voulais les imaginer et les voir s’épanouir.
Au fil des années, je peux dire que ce sont eux qui m’ont élevée dans tous les sens du terme !
Je m’investis au sein de l’Association Française du Cheval Frison, participait activement à la
reconnaissance de la Race par les Haras Nationaux ce qui me permis d’accéder à un univers que
je n’avais jamais côtoyé : l’Antre de la Sélection et tout son cortège de procédures, d’examens, de
jugements…
Aussi, je poursuivais mon chemin en m’appliquant à suivre mes souhaits envers et contre toutes
les formes subversives pour rentrer dans le moule du KFPS. Mes chevaux passaient avant, même
si, hélas, certains furent victimes de ce système. La reproduction étant exclusivement artificielle,
je me rendrais compte plus tard du manque de repère que cela génère en particulier chez la
jument primipare.
Je me rendis également compte au fil des années que l’impact du sevrage avait lui aussi des effets
émotionnels qui pouvaient venir compromettre l’avenir du futur cheval et pas seulement avec
l’homme mais aussi avec ses congénères…
Au fur et à mesure que j’avançais et atteignais mes objectifs, au plus je m’éloignais des concepts
de l’élevage traditionnel. Au plus mon expérience grandissait au moins j’adhérais aux techniques
modernes et au plus je m’écoutais et m’adaptais à mes chevaux.
Ce qui fait la particularité de mon petit élevage c’est qu’il forme une famille : j’ai commencé avec
une jument « Arianne » et j’ai gardé ses filles, petites filles, arrières petites filles et même un de
ses petits-fils « Édène » qui est aujourd’hui un de mes étalons. Tout cela pour vous dire qu’à
travers toutes ces années, j‘ai appris d’eux en les observant et en m’adaptant à eux au quotidien.
Chaque poulain qui naît est un être à part entière et son rapport avec l’humain doit être sain.
L’Homme élève le cheval depuis des milliers d’années et a évolué grâce à lui. Je suis riche de
beaucoup de situations vécues auprès d’eux et, de par mon statut d’éleveur, je suis responsable de
leur vie. Étant seule à m’en occuper la majeure partie du temps, je dois « composer » avec mes
chevaux ; le respect est mutuel, nous restons chacun à notre place et pourtant nous grandissons
ensemble. J’accompagne les juments poulinières qui sont mes meilleures partenaires ; j’accueille
les naissances avec ma voix qui sert de première référence humaine au nouveau-né et m’est très
souvent utile, entre autre, dans des situations de stress.
Là où mes limites se posent car je ne suis pas une scientifique, les questions fusent et quelques
rencontres sont venues apporter bien des réponses à mes convictions profondes.
À fortiori, cela m’amène à penser que les chevaux ont une mémoire cellulaire tout comme nous, ce
qui expliquerait nombre de leurs comportements ; l’épigénétique vient également apporter une
approche intéressante de ce sujet passionnant.
Au quotidien et selon les situations, je peux dire désormais que je me sers de mon « ancrage » et
du « lâcher prise » également. Je suis pleinement dans « l’instant présent » et totalement dans la
présence à l’instant ; tous mes sens sont en « alerte », seule dans un troupeau c’est vital !
Je m’aperçois que selon ce que je dégage sous forme d’une ‘énergie’ émanant de ma volonté :
affirmation de mon statut au sein du troupeau, je peux interagir sur les individus qui le compose.
Comment dire, ce que la conviction de mon regard, du positionnement de mon corps, de l’émotion
qui m’anime tout est lu immédiatement par chaque individu. Aussi je prends grand soin de me
préparer selon mon état mental et physique avant d’entrer dans les troupeaux et je suis à l’affût
de leurs signes de façon quasi instinctive. Chaque instant est différent et demande une réactivité
également mais aussi beaucoup de patience.
Veiller à leurs besoins fondamentaux, les laisser vivre leur vie en troupeau avec ma présence
quotidienne. Ils sont élevés pour avoir une vie auprès de nous donc il est primordial que cela se
fasse dans une vision globale de l’élevage.
Le rapport que j’ai avec mes poulinières que j’ai fait naître, vient en interaction directe avec le
poulain et ce, préalablement « in utero ». Je précise que je n’ai aucune approche éthologique. J’ai
beaucoup appris de mes erreurs car ils ont su me remettre à ma place à chaque fois que ce fut
nécessaire et encore aujourd’hui. Leurs interactions entre eux m’ont permis de me rendre compte
au travers des années que les rôles de chacun évoluent et qu’ils ont vraiment une conscience
commune. Que leur statut de mammifère tisse un lien filial incroyable au sein de l’élevage.
Un poulain devenu subitement orphelin à 8 mois par la mort brutale de sa mère sous ses yeux et
les miens, a été pris en charge par sa tante, propre sœur plus âgée, elle-même suitée. Le poulain a
trouvé ses marques, a continué sa croissance tranquillement car je lui ai laissé le temps
nécessaire.
Aujourd’hui, il fait le bonheur de son humain car lors de leur rencontre, il l’a choisi et il est allé
sans hésitation vers lui… il était prêt à quitter le nid alors que, jusque là, il était effacé, distant
envers tout inconnu.
Ceci n’est qu’un des multiples exemples qui me poussent aujourd’hui à attendre réellement que
« La Rencontre » ait lieu ; mes chevaux m’ont prouvé à maintes reprises que je devais me fier à
eux !
Aussi je m’évertue, tant que faire se peut, à essayer d’élever des chevaux qui mentalement et
physiquement, auront les meilleures dispositions pour évoluer au mieux à nos côtés.
Cependant je reconnais que j’essaie au maximum qu’ils conservent leur « âme cheval », ce qui ne
fait pas d’eux des êtres lobotomisés : ils gardent leur personnalité, leur tempérament, ils restent
des chevaux tout simplement. Ils sont respectueux et bien élevés, mais ils sont tout autant
exigeants envers nous de ces mêmes valeurs…. Peut-être que j’influence aussi leur rapport à
l’humain, de par ma personnalité, le fait que je sois une femme interfère sans doute aussi ?
Parallèlement à mon travail d’éleveur, j’ai eu la chance de croiser à nouveau la route d’un
« Homme de Cheval » dont l’enseignement qui n’en était pas un dans le sens littéral du terme m’a
permis, néanmoins, de suivre l’évolution, pour ne pas dire la transformation par une « équitation
savante » de ma jeune jument frisonne « Jolèa ». Un grand respect de son intégrité physique et
mentale durant des années par un travail d’orfèvre et qui m’a persuadé de la grande intelligence
du cheval avec justement cette politesse qu’elle nécessite, cette humilité et cette passion, rigueur
et grandeur d’âme qu’elle suscite.
Un enseignement de la Vie qu’il convient d’apprécier à leur côté. Aux chevaux qui nous
supportent et nous élèvent vers le meilleur de nous-même, je suis infiniment redevable.
Clef de voûte de l’équitation montée, l’équitation à pied est pour moi d’une importance capitale et
doit se concevoir avec le temps, la rigueur, la constance et la bienveillance nécessaires
Dans cette société de consommation, où le temps est une course frénétique, il est possible d’aller
plus loin dans mon métier d’éleveur et d’accompagner les futurs acheteurs vers une connaissance
du cheval dans sa dimension d’enseignements ; leur permettant une approche bien plus complète
de cet être et comme un pré-requis avant de devenir propriétaire.
Personnellement, ce sont déjà eux qui m’informent, lors des visites, comment les humains présents
se positionnent et ils se trompent rarement ! J’ai même vu une pouliche faire un « scan » en
reniflant de bas en haut et de haut en bas à plusieurs reprises sa future propriétaire. Je pourrais
vous partager encore beaucoup d’autres cas concrets assez anecdotiques et très révélateurs.
Un dernier exemple : la fois où une dame est venue voir un jeune poulain d’un an ; celui-ci qui à
son habitude venait spontanément vers tout humain est resté à distance. La personne était pleine
de doutes, de questionnements, très hésitante et dans l’appréhension. Aussi je décidais de lancer
une discussion tout en continuant la visite de l’élevage. Cette dame se détendit peu à peu, elle se
confia et il m’est apparu qu’elle avait encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’acquérir
un cheval et encore plus un très jeune. Néanmoins je la ramenais voir le poulain, plus pour
observer la réaction de ce dernier car j’avais ressenti qu’elle avait changé au fil de notre
discussion.
Ce fut très révélateur car le poulain la jaugea à distance puis vint la saluer. Je lui expliquais alors
ce qui venait de se passer et que ce n’est pas encore le moment pour elle de prendre un autre
cheval tant qu’elle n’aurait pas plus de confiance en elle pour entamer cette aventure…
Pour terminer, je ne suis qu’au début du chemin et je me réjouis à l’idée qu’il soit encore long et
riche de rencontres et d’enseignements, la voie est ouverte… je suis mon fil d’Arianne.
Merci à vous de m’avoir lue.
Cécile Augier Legrand
Photo : Kosmic